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Dans la tête de Xavier #1 | Et si faire voler les bateaux était une fausse piste? 

18 Novembre 2020

Dans cette série d’articles, Xavier Lepercq, co-fondateur de SP80 et responsable technique, nous fait part de ses réflexions sur la conception des bateaux, la vitesse à la voile et le record du monde absolu de vitesse. Atteindre 80 noeuds (150km/h) sur l’eau propulsé uniquement par le vent est un incroyable défi technique et concevoir SP80 lui a permis de se questionner sur les codes architecturaux actuellement établis dans le monde de la voile.

Le développement du foil et des bateaux volants dans le monde de la voile est assez surprenant. L’ingénieur français Emmanuel Denis Farcot est le premier, en 1869, à imaginer faire décoller les bateaux au-dessus de l’eau. Pourtant, il faut attendre 139 ans pour noter le premier réel succès d’un bateau à foil: en 2008, l’Hydroptère améliore le record du monde de vitesse à la voile et passe la barre mythique des 100 km/h. Puis tout s’enchaîne très vite: la Coupe de l’America de 2013 fait découvrir au monde entier le spectacle des bateaux à foils sur un parcours de régate, tandis que celle de 2017 permet de porter la technologie à maturité. La Coupe de 2021, quant à elle, aura permis d’expérimenter une implémentation nouvelle des foils, sans pour autant pouvoir surpasser les performances de ses prédécesseurs, les AC50.
La technologie semble donc avoir bien mûri et les limites des foils sont maintenant clairement identifiées: franchir les 50 noeuds (93 km/h) n’est que très occasionnel tandis qu’effleurer les 55 noeuds (102 km/h) est mission impossible du fait de l’apparition de la cavitation. Il aura donc fallu près de 150 ans pour permettre aux bateaux à foils d’atteindre leur plein potentiel, grâce notamment au pic de développement constaté ces 20 dernières années.

De gauche à droite: l’Hydroptère (©Hydroptère), qui a battu le record du monde de vitesse à la voile en 2009 / l’AC50 d’Emirates Team New Zealand (©Emirates Team New Zealand), Challenger de la 35e Coupe de l’Amercia / l’AC75 d’Amercian Magic (©American Magic), Challenger de la 36e Coupe de l’America

Quand on parle de « records », où par définition la vitesse prime sur tout le reste, le foil n’aura plus sa place.

Alors l’utilisation des foils s’arrêtent là? Bien sûr que non! La diversité dans le monde de la voile est phénoménale et c’est ce qui fait la beauté de ce sport. De même sorte que les bateaux volants ne pourront pas remplacer tous les bateaux archimédiens, ils ne pourront pas être intégralement remplacés par “autre chose”. Cependant, dès qu’on parle de « records », où la vitesse prime par définition sur tout le reste, le foil n’aura plus sa place.

Un peu lassés d’entendre “foils = innovation” alors que ceux-ci sont voués à stagner, nous avons créé SP80 dans le but de briser les codes du monde de la voile et d’ouvrir de nouvelles possibilités. Vous l’aurez deviné, pas de foils à bord de notre bateau mais véritablement “autre chose” !

Nous avons créé SP80 pour briser les codes du monde de la voile

Mais d’abord un peu de mathématiques pour comprendre comment le foil s’est imposé naturellement. Par définition : 

Vitesse = Puissance / Traînée

Donc pour aller plus vite, il y a deux solutions :

1 – Réduire la trainée
Il existe une multitude de possibilités pour réduire la traînée d’un bateau mais la plus efficace reste l’utilisation des foils. En effet, en surélevant la coque, les foils permettent de réduire la surface en contact avec l’eau et donc la traînée. Cependant les foils se heurtent inévitablement au phénomène de la cavitation autour de 55 nœuds. Les bulles de vapeur générées par la cavitation engendrent une traînée considérable et limitante. Le foil est donc une fausse piste quand il s’agit d’aller vite, très vite.

Bulle de cavitation sur un foil – Etude expérimentale réalisée par l’EPFL pour l’Hydroptère ©Article: L’Hydroptère: How multidisciplinary scientific research may help break the sailing speed record.

2 – Augmenter la puissance
Les architectes l’ont fait par le passé : ils ont inventé le catamaran, le trimaran, le ballast, la quille pendulaire, etc., afin d’augmenter le couple de redressement des bateaux et ainsi leur force motrice. Mais finalement, l’augmentation de la puissance s’est toujours traduite par la construction de bateaux plus larges, plus longs, plus lourds et générant donc beaucoup de traînée. Augmenter la puissance aveuglément semble être une solution vouée à l’échec, étant donné que les bateaux les plus rapides ne sont pas les plus grands.

Un moth à foils (à gauche – ©Martina Orsini) est plus rapide d’un Class J  (à droite – ©Carlo Barenghi), pourtant beaucoup plus puissant

Le record du monde de vitesse à la voile a un avantage considérable: il est régi par très peu de règles. Presque tout y est permis, les ingénieurs et architectes peuvent donc donner libre cours à leur imagination. Aujourd’hui, je pense que ce qui limite la vitesse des bateaux, ce n’est pas la physique mais l’imagination de l’Homme !
Avec SP80, nous avons bien profité de cette liberté, cette absence de jauge. Nous avons brainstormé pendant deux ans et des milliers d’heures avant d’arriver à un concept auquel on croit. Il a ensuite fallu une année supplémentaire pour que le design s’affine. Il ne faut pas être pressé et prendre le temps de faire germer les différentes idées, les confronter pour ne garder que les meilleures.

Aujourd’hui, ce qui limite la vitesse des bateaux, ce n’est pas la physique mais l’imagination de l’Homme !

Nous avons ainsi développé un concept qui permet d’augmenter la puissance sans jamais sacrifier ou faire de compromis sur la stabilité tout en gardant un bateau de taille très modeste. Notre rapport poids / puissance se rapproche de celui des bateaux à moteurs de course. Après tout, ils fusent à bien plus de 80 nœuds et n’ont pas besoin de voler pour y arriver !

Non, nous ne volerons pas, nous resterons au contact de l’eau, à l’instar d’une Formule 1 en plein virage !

Xavier Lepercq, co-fondateur & responsable technique
Photo en-tête: ©Maxime Horlaville / Apivia